AU GUI L’AN NEUF !

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TOUCHE DE VERDURE SUR LES ARBRES EFFEUILLÉS PAR L’HIVER, ORNEMENT PRISÉ DEPUIS L’ANTIQUITÉ, POUR FÊTER L’ARRIVÉE DE L’ANNÉE NOUVELLE, LE GUI EST L’UNE DES PLANTES TERRESTRES LES PLUS ÉTRANGES, TANT PAR SON ASPECT QUE PAR SA BIOLOGIE.

C’est en hiver que l’on remarque le plus le gui, seule verdure s’exhibant encore dans les arbres et arbustes à feuilles caduques. Réminiscence du culte qui lui était voué  par les celtes, les peuples nordiques, les grecs et les romains, il fait partie des végétaux utilisés pour décorer ou «porter bonheur» lors des fêtes de fin d’année.

Gui sur des peupliers
C’est en hiver, sur les arbres effeuillés, que l’on distingue le mieux le gui. Ici sur des peupliers bordant le fleuve l’Orne. Le peupliers sont avec les pommiers, les arbres les plus colonisés par le gui. Argentan(61) Site des Pâtures. Janvier 2022.

Le Gui d’Europe ou viscum album, étonnant arbrisseau de la famille des viscaceae, pousse à même les branches de 120 espèces d’arbres parmi lesquels les peupliers, les saules pleureurs, les pommiers, les tilleuls et certains arbustes tels les aubépines. Vert en toutes saisons, il y forme de grandes et lourdes «boules » ou touffes arborescentes pouvant atteindre, après plusieurs années, plus d’un mètre de diamètre. Ces boules peuvent vivre jusqu’à trente-cinq ans.

HÉMIPARASITE et DIOÏQUE
Dépourvu de racines, le gui enfonce dans le bois des suçoirs coniques avec lesquels il prélève la sève brute (eau et sels minéraux). Mais, grâce à des chloroplastes et sa sensibilité aux différentes ondes lumineuses, il assure, même en hiver, sa propre assimilation chlorophyllienne. Ceci lui vaut son classement parmi les hémiparasites.

Les suçoirs du gui
Cette vue en coupe perpendiculaire d’une branche «guitée» montre comment le gui (vert jaune clair) insère ses suçoirs dans le bois (brun) d’une aubépine. Durant sa croissance, l’hémiparasite multiplie des suçoirs secondaires dont l’extrémité s’éloigne du pied. Pour la lisibilité, la teinte plus foncée que nature du bois d’aubépine est obtenue en l’imbibant d’eau.

Les pieds mâles différant des pieds femelles, le gui fait partie des plantes dioïques.
En principe, le gui n’attaque pas les cellules de l’arbre parasité. Il n’en affaibli pas moins son hôte et diminue la qualité du bois. «Guité», celui ci devient moins utilisable pour les ébénistes et les menuisiers. Viscum Album réduit aussi la fructification des pommiers qu’il peut même finir par tuer. Plusieurs touffes peuvent s’implanter sur une même branche sans plus se soucier de sa capacité à les nourrir toutes. Elles sont parfois si nombreuses et denses que leur poids et l’importante prise au vent viennent à bout de la résistance mécanique de très fortes branches.

Branche tombée sur un abreuvoir.
Trop de poids et d’affaiblissement sur un même maigre support… Le gui est l’un des rares végétaux capables de scier la branche sur la quelle ils sont assis. Heureusement, l’abreuvoir était plus solide que le crâne d’une personne. Argentan, La Gravelle Le 26 01 2020.

Des arbres hauts au bois fragile (peupliers, saules) peuvent être étêtés en cas de tempête. Ceci d’autant que le parasite affaibli son support en enfonçant dans le bois ses suçoirs qui se multiplient et grossissent.

Saule guité et cassé.
Ce qui peut arriver lorsqu’un arbre remarquable n’est pas entretenu. Le haut du houppier de ce saule infesté par le gui à été brisé net par une tempête. En l’absence de feuillage et de gui,  la prise au vent et l’effet de balancier lié au poids conséquent de trop de «boules» auraient étés moindres. Photo: Chemin du Fil-de-l’Orne, entre le Clos-Menou et  La-Gravelle, Argentan le 26 janvier 2020. Après plusieurs mois la tête de saule cassée a été retirée. Quant au Saule, il se porte toujours comme un…charme.

 SQUATTEUR INVÉTÉRÉ
Les baies apparaissent en été, mais nous les remarquons surtout à partir de décembre lorsqu’elles deviennent blanches puis, plus ou moins, translucides.

Baies de Gui
Selon l’exposition et le support, les baies de gui commencent à blanchir à partir de décembre. Celles-ci ont été photographiées à Argentan sur le site des Pâtures en fin du mois de Janvier 2022.

À l’intérieur se trouve une graine. Transportée par des oiseaux amateurs de baies (baccivores) tels la grive draine (Turdus viscivorus) et la fauvette à tête noire (Sylvia atricapilla) la graine entourée de viscine (substance collante) adhère, via les excréments (grive) ou le dépulpage et l’abandon de la graine (fauvette), sur l’écorce des arbres hôtes. En mars-avril de l’an suivant, la graine germe. Nait alors une sorte de tige verte, terminée par un renflement rond. Au lieu de filer vers la lumière comme lors de la germination de la majorité des plantes naissantes, elle s’oriente vers le support. L’extrémité ronde se plaque sur l’écorce grâce un cône de fixation. En juillet la plantule commence à perforer l’écorce pour développer son système de suçoirs. Ceux-ci pompent la sève de l’hôte et le gui peut alors commencer à développer sa première tige et ses premières feuilles. Certaines essences ou certaines variétés d’entre elles sont plus squattées que d’autres par ce parasite invétéré. Chez certains arbres plus récalcitrants à son intrusion, le gui s’installe parfois sur des spécimens affaiblis par un stress quelconque (manque d’eau, sol appauvri, changement climatique). C’est ainsi qu’il est assez rare sur le chêne par exemple.

Baies vertes de gui
Baie vertes de gui. Selon l’arbre hôte, les variation du climat et l’exposition, les baies commencent à blanchir entre décembre et février. celles ci ont été photographiées à Argentan, janvier 2019.


UTILISATION MÉDICALE ET TOXICITÉ
L’usage médicinal du gui est connu depuis la préhistoire. Des résidus de gui ont été retrouvés sur des sites archéologiques datant du néolithique moyen tels celui de La Grande Rivoire, en Isère (voir chapitre Liens). Les druides et les médecins grecs de l’antiquité l’utilisaient contre tous les troubles liés à l’hypertension artérielle, les convulsions, la toux, la coqueluche. Le gui a aussi été utilisé contre l’épilepsie, comme antispasmodique et sédatif. Aujourd’hui, certaines théories médicales fortement teintées d’ésotérisme, telle la médecine dite «antroposophique», affirment que le gui permet de traiter le cancer. Des produits à base de gui, administrables par injection, sont même commercialisés bien que ne recevant pas l’approbation des instances médicales de nombreux pays dont la France et les USA.  La forte toxicité du gui (voir à la suite) doit inciter à la prudence, il est donc plus sage d’éviter l’automédication et de consulter un médecin avant d’utiliser tout produit contenant des extraits de gui.
À l’état de nature, les baies, le bois et les feuilles du gui sont toxiques.
Ingérées à faible dose (2 ou 3 baies chez l’enfant) elles peuvent provoquer des irritations digestives, des douleurs abdominales, des vomissements, des diarrhées sanglantes et une soif inextinguible.
À forte dose ( 8 à 15 baies chez l’adulte) leucopénie immédiate, bradycardie, vasodilatation, hypotension, extrasystoles, fibrillation ventriculaire, arrêt cardiaque, dépression neuromusculaire, paralysie, mort par asphyxie sont les symptômes caractéristiques d’une intoxication par le gui.

LA CHASSE À LA GLU
Les baies ou le bois du gui peuvent s’utiliser pour fabriquer de la glu, une colle servant à attraper les oiseaux. Des spécimens vivants ont les pattes collées par la glu sur des branches d’arbres.  Ils servent d’appelants pour attirer en nombre leurs homologues qui peuvent alors être plus facilement tirés ou piégés. Hors médecine, cette utilisation cruelle, aujourd’hui interdite (mais hélas encore pratiquée illégalement) dans l’Union Européenne est le seul usage « pratique » de cet arbrisseau dont le bois, très cassant, n’offre pas de qualités mécaniques intéressantes.

 UNE PLANTE CULTE
Les druides ou autres hommes médecines et prêtres de «nos ancêtres» les gaulois, les romains et les vikings (les grecs aussi) tenaient sans doute le culte du gui de civilisations plus anciennes encore. Auteur d’un des premiers grands ouvrages d’histoire naturelle, le naturaliste romain Pline l’Ancien (23 à79 après J.C.) relate la véritable passion éprouvée par les religieux gaulois, ses contemporains donc, pour le gui. Selon lui, celui ci était d’autant plus recherché s’il prospérait sur un chêne qui était l’arbre sacré des Gaulois. Pour les druides, le gui symbolisait l’éternité du monde et l’immortalité de l’âme. Ils lui attribuaient aussi des vertus curatives.

QUE LE BLÉ SE LÈVE !
Pour les anciens peuples germains et nordiques, dont les panthéons sont assez similaires, le gui est accessoire de mort et de résurrection dans la légende de Balder (ou Baldr), dieu de la lumière et de la beauté, fil d’Odin et de Frigg. Pour ressusciter Baldr assassiné à coup de gui, à l’instigation du dieu maléfique Loki, Frigg ou Freya, déesse (entre autre attributions) de l’amour promet d’embrasser quiconque passera sous le gui. Elle oblige alors l’arbrisseau à vivre à jamais dans les arbres.
Diffusée à l’occasion des diverses invasions et migrations, cette légende est peut être l’une des origines de la coutume « porte bonheur» de s’embrasser sous le gui pour la nouvelle année. Elle s’est sans doute mélangée au fil des siècle avec les coutumes celtes de la cueillette par les druides du gui des chênes, sous la lune du nouvel an (alors en novembre). Un autre précepte celte stipule que deux ennemis se rencontrant sous le gui déposent les armes et observent une trêve. Lors de l’embrassade, les personnes s’embrassant sous le gui doivent prononcer l’expression votive rituelle «Au gui l’an neuf ».  Celle ci pourrait être une évolution médiévale de « O ghel an heu» («Que le blé se lève») incantation celte employée par les druides lors de la récolte. Trop forte réminiscence païenne au goût du clergé catholique, « au gui l’an neuf » fut ensuite remplacé, par «Bon an, mal an, Dieu soit céans ». Dans le même registre, le clergé a voulu aussi remplacer le gui par le houx et une symbolique beaucoup plus morbide, le rouge des baies évoque le sang de Jésus Christ. Les feuilles, aux pointes acérées rappellent sa couronne d’épine. Notons que malgré l’obsession inquisitoire de l’église chrétienne à transformer à son aune, les rites, les lieux de culte et jusqu’aux divinités, des croyances et religions antérieures,  celles-ci ont perduré jusqu’à nos jours sous diverses formes. Pour décorer les maisons et porter bonheur lors du passage de la nouvelle année, au XXIe siècle, du gui est toujours recueilli et même vendu sur les marchés ou chez les fleuristes.

LIENS
Cet article propose la découverte du gui et ne prétend pas à l’exhaustivité. Afin de compléter nos propres observations, nous avons consulté et recoupés les contenus de nombreux sites. Si vous souhaitez approfondir votre connaissance du gui,  L’État des lieux. blog ne peut que vous inciter à procéder de même. Quelques liens parmi les plus intéressants sont proposés ci-dessous.
Université de Lyon
Le Département de Biologie de l’ENS de Lyon propose à propos du gui deux articles de référence.
http://biologie.ens-lyon.fr/ressources/Biodiversite/Documents/la-plante-du-mois/le-gui-une-plante-parasite-dispersee-par-les-oiseaux

http://biologie.ens-lyon.fr/ressources/Biodiversite/Documents/la-plante-du-mois/le-gui-une-plante-parasite-au-cycle-de-vie-original/

Wikipédia
Un article très complet
https://fr.wikipedia.org/wiki/Gui_(plante)

La chasse à la glu
https://fr.wikipedia.org/wiki/Chasse_%C3%A0_la_glu

 Le Monde jardinage
Le site jardinage du grand quotidien français Le Monde.
https://jardinage.lemonde.fr/dossier-980-gui-viscum-album-plante-druides.html

La Grande Rivoire
Site archéologique fouillé en 2006 et situé en Isère dans le Massif du Vercors.
https://journals.openedition.org/adlfi/60594

 Toxiplante.fr
Assez aisé et rapide à utiliser, ce site répertorie les plantes toxiques présentes dans l’hexagone.
https://www.toxiplante.fr/monographies/gui.html

France Info
Le gui et le cancer
https://www.francetvinfo.fr/societe/video-le-gui-peut-il-soigner-le-cancer-comme-le-pretend-la-medecine-anthroposophique_3741511.html