
Dans le centre ville d’Argentan (61), plus de 40 boutiques, magasins et locaux professionnels sont vides. Visibles de la rue, la majorité d’entre eux se situent dans un secteur assez réduit que l’on peut considérer comme le cœur de vie historique de l’agglomération.
Un voyageur revenant à Argentan en 2018, sans l’avoir jamais revu depuis les années 1970, peut se demander à juste titre quelle épidémie a bien pu désertifier cette ville, jadis si vivante. En parcourant, les rues principales de la Sous-préfecture de l’Orne, il pourrait recenser, comme nous l’avons fait, plus d’une quarantaine de lieux commerciaux et professionnels vides. Ce à quoi il faut ajouter l’ancienne sous–préfecture et une ex clinique privée d’une surface de2300 m2, toutes deux désaffectées et vides depuis des années. La plupart de ces locaux se situent à moins de 400 m de l’église Saint-Germain. Fermée depuis des mois, mais toujours pourvue de son auvent publicitaire pour le quotidien «Le Figaro», l’ancienne «Maison de la Presse» se trouve même juste en face, de l’autre côté de la rue.
COEUR DE VILLE
À Argentan le « cœur de vie historique» de la ville, soit la surface dans laquelle se concentrait depuis la création de la cité et jusqu’à il y a encore une vingtaine d’années la grande majorité de l’activité commerciale, administrative et médicale, tenait dans un quadrilatère restreint d’une surface de 3,6 km2 (600 m de côté), la superficie totale de la ville étant de 18,18 km2, hors communauté de communes.
Boutiques abandonnées jusque dans les rues le plus commerçantes, dizaines d’appartements et maisons inhabitées, rues du centre de moins en moins fréquentées. … Comment en est–on arrivé là ? Avant d’apporter quelques éléments de réponse, remarquons qu’Argentan n’est pas un cas isolé. En France, de nombreux centres de petites villes et même de grandes comme Saint-Etienne ou Toulouse connaissent ou ont aussi connu des situations identiques.
LES CAUSES DONT ON CAUSE
Pour expliquer la déchéance du commerce et la désertification dans les centre-villes, la première cause incriminée est l’implantation à la périphérie des villes de centres commerciaux très «complets» entourant des enseignes de grande distribution. À Argentan les amateurs de ce genre d’endroits sont plutôt bien servis. Un grand «Leclerc» et un «Lidl»tiennent l’entrée Est de la ville, un «Intermarché» l’entrée Ouest (route de Flers), un Carrefour, l’entrée Nord sur la route de Caen. Et puis, les « hypers» entre autres arguments bétonnés comme les «courses Drive», ne proposent ils pas maintenant des parkings couverts et reliés par des passages à la surface de vente ? Des merveilles architecturales qui évitent d’exposer sa surcharge pondérale aux éléments déchaînés durant les quelques mètres qui séparent son automobile de l’entrée de la caverne aux trésors.
En périphérie s’ajoutent aussi de multiples Z.A.C (zônes d’activités commerciales) avec parking ou sévissent diverses franchises de jardinerie, de bricolage, de bazar, de jouets et de magasins «discount» (alimentation, optique). Tout cela est complèté par les versions «drive» des grandes enseignes et même de plus petites, telles que les boulangeries installées dans d’anciennes stations services. Même en ajoutant quelques centaines d’habitants des communes les plus proches, c’est beaucoup pour une ville comprenant 13 698 habitants (source INSEE 2014).
LES CAUSES DONT ON CAUSE… MOINS
À Argentan,comme ailleurs, la concurrence agressive de la grande distribution et des enseignes de Zac, va de pair avec l’inconséquence des autorités territoriales qui ont non seulement laissé faire, mais approuvé ces implantations pléthoriques. Ici, la municipalité est pourtant bien placée pour savoir que la population de l’agglomération ne cesse de baisser depuis la fin des années 1990 et la fermeture des principales «grosses boîtes » telles Moulinex (électroménager : 262 employés), la Mic (matériel de manutention : 292 emplois), la fonderie Waeles (320 employés). Ces derniers mois, Ghizzo (bâtiment – 42 employés) et Armcor (fabrication de flexibles: 86 salariés) viennent encore de fermer leurs portes.
Démographie en baisse
De 17 327 habitants en 1982, la population de la ville (hors communauté) est aujourd’hui descendue au dessous de 14 000. La plupart des ex-salariés encore en âge de travailler ainsi que leurs familles sont allés chercher leur provende sous des cieux plus nourrissants. Dommages collatéraux, cette baisse a entraîné des diminutions d’effectifs, des pertes d’emplois et des fermetures dans des entreprises sous traitantes et des administrations et donc bien entendu aussi dans les commerces.
Le coût et l’état de l’immobilier commercial
Malgré la chute de la fréquentation, les propriétaires immobiliers ne lâchent rien et continuent d’exiger des loyers commerciaux, des prix de vente ou des reprises de pas de porte, toujours indexés sur la rentabilité des périodes de pleine prospérité. Difficile, dés lors, pour un nouvel entrepreneur de s’installer ou de reprendre «une affaire» en espérant une rentabilité de bon aloi. Ceci d’autant plus que les locaux, peu rénovés depuis les années 1970 nécessitent souvent des réfections et des remises aux normes importantes. Au final, même dans les rues les plus passantes, des boutiques restent vides durant des mois, quand ce n’est pas des années.
Un habitat de centre… vide
Souvent étroits et assez peu lumineux, bon nombre d’appartements situés au dessus des boutiques ne sont accessibles qu’en passant par celles-ci. S’ils logeaient jadis les commerçants et leurs familles, il y a déjà plusieurs décennies que ce n’est plus le cas. Quand ils ne servent pas de lieux de stockage ou de débarras, ils sont laissés à l’abandon et se dégradent. Dans une société dédiée au tout automobile –d’où la réussite des zones d’activité commerciales- qui veut encore habiter une maison sans garage ni parking attenant, dans une rue ou se garer relève de la corvée quotidienne ?
Fenêtres sans vie

Argentan a été détruite à 90% à la fin de la seconde guerre mondiale, mais, à la reconstruction, l’urbanisme de son centre ville a repris presque à l’identique le schéma quasi médiéval de ce qu’il était avant le conflit. Résultat, à partir des années 1970, à l’instar des commerçants tous ceux qui le pouvaient, sont partis habiter dans les quartiers périphériques, voir dans les communes environnantes, des lotissements de maisons neuves ou des résidences plus agréables et salubres. Si l’on comptait les appartements et maisons actuellement vides de la ville, le total serait très supérieur à celui des commerces. Fenêtres sales et sans vie, sinon sans vitres et ouvertes à tous les vents et aux pigeons, beaucoup sont aujourd’hui inhabités depuis longtemps.
La responsabilité du consommateur
«Moi j’achète mes livres « au Centre Culturel». Par «centre-culturel» il faut entendre l’extension ainsi auto-proclamée de « chez Leclerc », ceci alors même qu’il existe sur la Place Henri IV , deux librairies situées à quelques mètres l’une de l’autre. Parmi les causes, dont on évite de causer trop fort, l’on peut donc citer aussi la responsabilité du consommateur. La principale «excuse» de ce dernier est que l’on ne peut pas toujours se garer devant la boutique. Argentan propose des parkings suffisants. Leur défaut? Ils obligent à marcher, entre cinquante et trois-cent mètres, pour rejoindre les rues les plus commerçantes. Distance négligeable pour la majorité des parisiens, cela semble constituer un obstacle infranchissable en province ou circuler en voiture, même lorsque l’on peut s’en dispenser, constitue une activité statutaire.
POUR CONCLURE
Nous n’avons pas l’ambition en un seul article d’être exhaustifs sur le sujet, répétons le, la situation du centre ville d’Argentan, n’est pas un cas particulier. Elle relève même d’un problème national inquiétant que les politiques (toutes obédiences confondues) ont, à quelques exceptions près, négligé depuis des décennies. Dans son livre «Comment la France a tué ses villes » (éditions Rue de L’échiquier) Olivier Razemon publie une enquête édifiante sur ce qui se passe à Landerneau, Avignon, Calais, Agen, Lunéville etc…Il analyse, entre autres, les causes que nous venons d’évoquer.
Et bien cet article est fort intéressant et dresse un constat sans appel de la triste situation aperçue lors de mes déambulations quotidiennes.
Je déplore totalement cette désertification et je rêve d’un centre ville vivant, coloré, où il ferait bon flâner en découvrant de beaux objets dans de belles vitrines.
Je tire mon chapeau aux quelques commerçants bien courageux qui, malgré la situation peu reluisante, ouvrent des boutiques ou entretiennent un petit commerce de détail où l’on a plaisir à dénicher de bons et beaux produits. Je les fais travailler dès que je le peux.
Que vivent nos centres villes !
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